Matsue, traverser les siècles

Alors que la tourmente de la centrale nucléaire commence sérieusement à préoccuper le monde, je m’en vais aujourd’hui visiter une petite ville côtière au nord du Kansai, sur le littoral ouest du Japon. Matsue m’attend, avec son lac au bord duquel on peut assister à de magnifiques couchers de soleil, et son château d’origine du 17e siècle, qui n’a jamais été détruit ni reconstruit, contrairement à la plupart des châteaux du Japon.

Après un long trajet qui me prendra une bonne partie de la matinée (environ 3h depuis Osaka), je sors de la gare dans un quartier résolument moderne. Magasins, boutiques, voies ferrées, ponts, et enseignes colorées, typiquement de la deuxième moitié du 20e siècle ! Je fais un saut à la poste pour changer un peu d’argent, puis il est déjà l’heure du déjeuner. Je me dirige vers le nord ouest de la ville, en direction du château, à quelques kilomètres de la gare et du centre ville. J’espère trouver un petit restaurant sur la route pour continuer mon chemin le ventre plein. Je parcours les rues longeant la rivière Ohashi-gawa, l’architecture est déjà plus traditionnelle, petites rues bordées de maisons japonaises, portes en bois, symboles sur des drapeaux flottant au vent, des temples et des petits restaurants typiques. Mais pas de chance aujourd’hui, tous les restaurants ont l’air fermé… Il est environ 13h, et je n’arrive pas à trouver un resto ouvert ! Que se passe-t-il ? Difficile de trouver à manger au Japon ? Il règne en plus une atmosphère étrange. Il n’y a presque personne dans les rues, les boutiques sont fermées… Les gens de Matsue ne mangent-ils donc pas le midi ? Où sont-ils tous passés ?

Je franchis la porte d’un restaurant qui à l’air ouvert, mais le gérant me dit qu’ils n’ouvrent que le soir… Il me demande d’où je viens et me dit qu’il a déjà été en voyage en France et dans d’autres pays. Il sort l’atlas du monde et me montre quelques destinations qu’il a visitées, Canada, France, Suisse. Nous discutons un quart d’heure, et je finis par lui demander où je peux trouver quelque restaurant ouvert à cette heure-ci. Il m’indique quelques rues plus loin où je devrais pouvoir trouver mon bonheur, et me précise qu’avec les événements de ces derniers jours, beaucoup de commerçants n’ont pas ouvert aujourd’hui. Voici donc l’explication ! Touchés par la catastrophe du tsunami et de Fukushima, pour diverses raisons, pas mal de commerçants et restaurateurs n’ont pas ouvert leur enseigne aujourd’hui.Enfin, encore un kilomètre plus loin, je finis par trouver le seul resto ouvert, un resto indien ! Je déguste donc mon second curry indien au Japon, et discute un peu avec ce sympathique restaurateur indien, installé à Matsue depuis 5 ans, avant de reprendre ma route.

J’arrive aux abords du château, entouré de douves et grimpé sur des fortifications en murs de pierre. Le parc du château abrite de nombreux temples et sanctuaires, mais je visiterai ces derniers après avoir vu le bâtiment ancestral lui-même. Me voici au pied d’un des 12 châteaux originaux restant au Japon ! C’est le 6e plus ancien du Japon, et de par ses 30 mètres de hauteur, le 3e plus haut du pays ! Comme tous les autres, cependant, son donjon a été reconverti en musée, et les expositions à l’intérieur racontent l’histoire du château et de la région depuis l’époque féodale, au 17e siècle. Tout en bois, haut de 5 étages, témoin des siècles écoulés, il a résisté aux éléments déchaînés du Japon, et n’a jamais été confronté à un conflit armé ! Précisons que ce bâtiment, le donjon, est la seule partie d’origine ; le reste, le parc et les temples autours, ont été rasés en 1875 et restaurés par la suite. Pour une fois, nous avons le droit de prendre des photos à l’intérieur ! Enfin une occasion de photographier les maquettes, les armures de samouraïs, et des détails de l’architecture.

Après cette belle visite, je vais découvrir aux alentours le parc et les temples. Passant par des chemins en sous-bois, je me dirige vers le nord, où, à l’extérieur de l’enceinte et des douves, on trouve des maisons anciennes reconverties elles aussi en musées. Entre autres, la maison de Lafcadio Hearn, un écrivain irlandais du 19e siècle, qui élut domicile dans ce quartier plein de charme de la ville, et la maison d’un samouraï de classe moyenne, avec son magnifique jardin. J’ai juste eu le temps de visiter le jardin de cette dernière maison, alors que l’heure passait et que les visites étaient terminées. 17h30, cela me laisse le temps de rejoindre la rive est du lac Shinji, à 2km au sud, pour admirer le coucher de soleil si réputé !

Je m’installe non loin du Shimane Prefectural Art Museum pour profiter de le tombée du jour, entouré par de nombreuses statues et œuvres d’art insolites, tels des lapins sautillants ou de volumineux trous en sculptures. Je passe près d’une heure et demie devant ce spectacle intemporel, jusqu’à ce que le soleil disparaisse totalement derrière l’horizon. Je reprend le chemin de la gare en arpentant au hasard les rues de Matsue sous les lumières incandescentes, symboles de notre ère électrique. Je grimpe dans le shinkansen pour rejoindre Osaka 3h plus tard.

Dans le train, Astrid m’appelle et m’apprend que ses employeurs, pressés par la situation du Japon et parents de 3 bambins, ont décidé de quitter le pays au plus vite pour se mettre en sécurité, avec deux semaines d’avance, soit après-demain ! Cela implique qu’ils vont aussi rendre le logement de fonction d’Astrid, qui a donc 24h pour terminer ses valises et trouver un autre logement ! Demain soir nous sommes à la rue ! Les événements se précipitent, et, alors que jusqu’ici, nous étions confrontés au calme japonais opposé à la panique de l’occident, nous voici touchés directement par les répercussions de la catastrophe. Il va falloir songer sérieusement à la suite des événements, allons-nous essayer de quitter nous aussi le pays le plus vite possible ? Pourrais-je atteindre Tokyo samedi pour prendre mon avion, alors que la capitale elle-même se vide de ses ressortissants étrangers, organise des black-out par quartiers pour compenser le manque d’électricité auparavant fournie par la centrale de Fukushima, et essuie de fortes perturbations au niveau des transports ? Qu’allons-nous faire ?